samedi 24 août 2013

Renée, en mosaïque, une mère de pierre... (j')écriture en recherche édition !



Renée, c'est une aïeule, et juste des dates d'état civil retrouvées lors de mes fouilles généalogiques. Morte en octobre 1817 à Quimper. Deux mois plus tard, le jour de Noël, son époux, mort aussi. Et leurs enfants, le plus jeune avait 3 ans. Puis Renée, s'est mise à ne plus me quitter...




Quelques extraits




Renée, mon aïeule, devrais-je te dire que je t’aime ou est-ce autre chose. Tu m’attires, m’empêches de dormir. Je te sens, chaque nuit, passer ton souffle sur mon corps, tu restes plus ou moins longtemps, à me regarder, à m’effleurer et tu finis par pleurer. Tes plaintes, tantôt murmures, tantôt minces sanglots s’immiscent entre mes lèvres. Souvent j’entends l’orage, la tempête se déchaîner avec éclairs, tonnerre, pluie battante, torrents, boue et sang. Je t’entends, Renée, et ta douleur. Je vois ton visage se déformer, ta bouche crier et ton cœur jaillir, doucement puis à gros flots. De ta bouche s’écoule la rivière de ton corps, de tes peines, de tes souffrances. D’abord une rivière lente et fluide puis torrentielle, épaisse, nauséabonde, remplie des objets de ta vie quotidienne, de ta maison délabrée, de quignons de pain, des restes de nourriture. Des gens passent, parfois avec un bras levé, d’autres sont déjà morts, flottants comme de gros morceaux de bois, aussi des enfants, des enfants qui pleurent leurs parents, des nourrissons, des cercueils, petits et grands.




Que me dis-tu, je commence à percevoir quelques bribes, ta voix de plus en plus claire monte et s’approche. Je perçois tes syllabes maintenant nettes. Des syllabes qui s’assemblent, sûrement des mots, des phrases que tu formes Ils sont dans ta langue, une langue qui est la tienne mais pas la mienne. De ta langue je ne connais que quelques rudiments élémentaires et bien peu encore. Répète moi ces mots, Renée, ce sont toujours les mêmes que tu prononces. Recommence, Renée, encore et encore jusqu’à ce que je les mémorise tout à fait, que je les écrive à mon réveil dans mon carnet. Je suis certaine qu’ils signifient quelque chose. Et je veux savoir, Renée. Tu ne peux continuer ainsi. Me parler breton. Il te faut aussi apprendre ma langue que nous puissions nous comprendre. Cela me demande un grand effort de déchiffrer tes phrases. Apprends ma langue, Renée, prends-y ce qu’il te faut pour me raconter ton histoire. N’oublie pas ton souffle, je peux t’écouter longtemps mais respire. Je sais que tu ne connaissais pas que le breton, Renée, mais aussi quelques mots de français, les aurais-tu oubliés ?







Parfois, je suis ensemble, avec toi dans la basse-cour. Nous donnons à manger aux poules, nous les regardons se battre pour une épluchure, un quignon de pain. Les écouter caqueter comme pour réclamer encore. Je tiens les poussins dans nos mains avec toi, petites boules jaunes au cœur palpitant. Ensemble nous nous mettons à respirer au même rythme, nous rejoindre, nous sentir plus proche l’une de l’autre. Une nuit, le renard est venu près de la basse-cour. Ton père l’a entendu. Il est sorti le tuer. Le matin, quand tu t’es levée, tu as vu la fourrure du renard sur la grande table. Tu t’es mise à courir au dehors et tu l’as vu dénudé, gisant près d’un trou que ton père venait de creuser. Tu l’as aidé à recouvrir le renard puis tu as semé des fleurs au dessus. Les fleurs ont poussé puis plus personne ne s’est souvenu qu’ici reposait un renard qui s’était fait surprendre une nuit d’été à rôder trop près des poules. Tout le monde a oublié. Sauf toi, Renée. Ce renard, je l’ai enterré moi aussi, quelque part au pied d’un mur chez ma grand-mère maternelle. On l’a découvert un matin dénudé. Personne n’a retrouvé sa fourrure ni su qui l’avait tué. Avec mon père, on l’a enterré et j’ai cueilli des fleurs, pâquerettes et pissenlits, que j’ai déposés sur sa petite tombe. Trente ans après, je me souviens de l’endroit précis où il repose. Les fleurs sont fanées.




Tu sais, ma fille, j’en ai vu des couleurs, mais ce n’étaient pas les tiennes. On ne cherchait pas à en avoir plus, nous étions heureux ainsi. On n’avait pas grand-chose, mais c’était comme cela. On perdait nos enfants et c’était comme cela. Ça n’a l’air de rien comme ça. Vous nous pensez forts, sans tristesse, sans aucune émotion, comme des blocs de pierre. Mais on perdait nos enfants et moi ça m’a rendue folle. Ça m’a rendue folle. Tu peux bien me dire, ma fille, que non je n’étais pas folle. C’est pourtant bien cela qui m’a conduite là, entre ces murs de pierre. Je n’ai même pas été capable de sauver ma petite fille et plus tard entre ces murs de pierre, je n’ai pas pu m’occuper de mon petit garçon, Yves. On me l’a retiré. J’en suis tombée plus au fond encore. Si j’avais encore une raison de m’en sortir c’était pour mes enfants, ceux qui m’attendaient à la maison. Mais mes geôliers étaient si cruels qu’ils m’ont fait perdre cet espoir de quitter un jour ce trou. Je n’ai même pas su prendre soin de moi.

des extraits sont parus sur Remue.net et sur Incertain Regard 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire